Quand un arbre tombe, il renverse ta nuit et tu crains que ses frères ne le suivent et tu ne peux pas replonger dans le ventre antique du sommeil.
Ici j’ai vu des corps brisés par la nuit, avalés par elle, rendus diaphanes. Ils n’avaient pas compris qu’au bout des pieds s’ensuivent des racines, pleines de sel et de cris.
Au matin j’observe de ma fenêtre les petits immeubles de faubourg qui font face. Leurs veines sont noires, ils pleurent. Ça y est, la grande restauration du sens magique est commencée. Il est temps que l’homme puisse voir le prolongement de ses jambes sous la terre.
Aujourd’hui nous allons libérer cette autre ville assiégée qu’est le ciel d’ici. Faire taire les siècles entiers d’ailes toilées et de tubes à essai. Je pourrai danser sur les petits monticules où dorment ces folies, danser sur la terre nubile et bientôt demander l'assistance de la pluie.
J’irai en reconnaissance là où les arbres s’annoncent, m’inspirer des forteresses d’enfants, y chercher les marques de celles qu’ils font de tête et de nuit, infiniment plus grandes.
J’étudierai. Après l'oreille à l'écorce, après la couture des mousses, nous aurons la liberté d’inventer. Entrechoquer des ossements et donner un nom, un sens à cela. Faire des signes et des symboles. Et lire dans les fumées vacantes.
J’ai déjà décidé de lever trois colonnes rythmées, surmontées de la tête des animaux tutélaires.
J’ai beaucoup travaillé l’argile. Les statuettes sont cuites sous une langue inconnue. Puis couvertes de morceaux d’étoffe, car elles sont faites de veillées et de chants qui brûlent nos doigts.
Avec le temps et de partout viendront sans musique des êtres de bois, de plumes, des hommes doublés d’animaux communs, les cheveux peuplés. Ils vont produire des accidents de fumée. Un chamane peut s’inventer ainsi et sans sourire.
Nous n’allons tuer personne.
Gabriel Henry